Ftour toujours, tu m'intéresses

De retour en France pour quelques jours, j'ai eu un choc en sortant de l'aéroport : une dame mangeait un sandwich en public. Ma première pensée a été : "Mais elle est folle, on est en plein Ramadan !". Ma deuxième pensée a été : "J'ai faim" (ben oui forcément, quand on voyage avec Ryanair, on a faim en descendant de l'avion mais comme on est déjà content d'être arrivé vivant, c'est pas si grave).

En France, j'avais le sentiment que le Ramadan était quelque chose de vaguement honteux dont on ne parlait pas trop, de crainte de stigmatiser les gens. Un peu comme si demander "tu fais le Ramadan ?" reviendrait à dire "tu ne serais pas un peu arabe par hasard ?". Bref un truc pas net. Par contre au Maroc, ne pas parler du Ramadan, c'est comme faire si Noël n'existait pas quand on habite en France.

J'ai pu constater que toute la vie quotidienne s'en trouvait modifiée pendant un mois, avec parfois quelques surprises. Tout d'abord, il est étonnant de constater que les jours précédents le début du Ramadan, les supermarchés sont dévalisés. Je dis "étonnant" car, même si on a le droit de manger au coucher du soleil, il s'agit normalement d'une période de jeûne et de méditation. En réalité, dans de nombreuses familles et au grand dam de certains pratiquants, le mois du Ramadan est prétexte à des repas gargantuesques pris en famille, comme si vous faisiez un réveillon de Noël tous les soirs pendant un mois (oui j'ai décidé que j'aimais bien ma métaphore de Noël). Résultat, j'ai croisé aux caisses des gens qui avaient littéralement 3 caddies de nourriture remplis à ras bord. En parallèle, les Français, eux, font le plein d'alcool puisque la vente est restreinte pendant le mois saint (quelle honte, on n'est plus chez soi ! Ah ben oui tiens, c'est vrai). Pendant cette période, venir à un dîner avec une bouteille de vin ou mieux, un pack de bières, fait de vous un quasi héros. A éviter cependant quand vous êtes invités à dîner chez des Marocains.

 Pendant un mois, chaque journée se déroule suivant un rituel précis. Les horaires de bureau et d'ouverture des magasins sont aménagés (comprendre par là : raccourcis), généralement 9h-15h. C'est donc rarement le bon moment pour se lancer dans des démarches administratives, mais y a-t-il un bon moment pour ça ? Le jeûne et les prières nocturnes génèrent une certaine fatigue, qui fait que les gens se reposent au maximum. Il est vrai que le temps passe plus vite quand on dort que lorsqu'on est assis devant son frigo... à tester pour le prochain régime de l'été.

Le jeûne dure jusqu'au coucher du soleil (environ 19h45 heure marocaine, 21h45 en France), le "top départ" étant annoncé à Rabat par un coup de canon et par l'ensemble des mosquées qui se mette à chanter "Allah akbar" (Dieu est le plus grand). Autant vous dire qu'à partir de 19h, il n'y a plus un chat dans les rues (oserai-je dire qu'on se croirait un soir de Noël ? Ou bien je suis lourde avec ça ?) et on entend les mouches voler - ou plutôt les cafards marcher... eh non, il n'y a pas que des avantages à vivre au Maroc.

Croyez-en mon expérience, mieux vaut ne pas se retrouver au volant vers 19h40. Les retardataires filent à toute allure retrouver leur famille et ne se préoccupent pas de détails insignifiants tels que les feux rouges et les stops.

La rupture du jeûne suit également un certain rite : elle se fait non pas avec un hamburger-frites-maxi Coca mais avec un repas appelé le ftour qui signifie littéralement... mais non, qui a dit "Noël" ??!... qui signifie rupture. Tous les restaurants servent des ftours, y compris Pizza Hut. Pas sûr que cela soit fait dans le plus pur des respects des traditions, il ne me semble pas que le Coran mentionne la pizza à volonté. Ceci dit, je n'en suis pas sûre, je ne l'ai pas lu.

 

Le ftour se compose habituellement d'une soupe de tomates appelée Harira (quand on dit soupe de tomates, ça ne fait pas rêver mais en réalité c'est délicieux - d'ailleurs le prix du kilo de tomates flambe pendant cette période ; il atteint en ce moment les 50 centimes d'euros le kilo. Ben quoi, d'habitude c'est 30...) ; pendant le ftour, on mange aussi généralement des dattes, des œufs, des chebakia (pâtisseries diététiques à base de miel, de sucre, d'amandes et de beurre) et du pain marocain, le tout accompagné d'un verre de lait, de jus de fruit et de thé à la menthe. En tant que non pratiquante, j'apprécie toujours de manger un ftour chez des Marocains ou au restaurant, mais il est vrai que le caractère systématique de ce menu en lasse certains.

Après le ftour, la vie reprend son cours normal et tous les magasins rouvrent. Il y a donc beaucoup d'animation pendant la soirée, ce qui contraste avec le calme de la fin d'après-midi. Cela dure jusqu'au "dîner" qui est traditionnellement pris vers minuit. Un dernier repas est pris vers 3h du matin au moment de la prière de la nuit.

Certains occidentaux fuient le Maroc pendant le Ramadan, ils se sentent comme oppressés. Bien sûr, il est fortement déconseillé de manger, boire et fumer en public mais observer ces quelques principes de base relève pour moi du respect le plus élémentaire (faire l'amour est également interdit mais je le fais rarement en pleine rue, Ramadan ou non. Je sais, j'ai vieilli et je ne suis plus très fun). 

Pour ma part, j'apprécie cette atmosphère un peu particulière, qui va bien au-delà de la religion. Il y a une sorte de solidarité, de communion de tout un peuple vers le même objectif. Évidemment, il ne faut pas perdre de vue qu'un musulman qui rompt le jeûne en public est passible de prison au Maroc : ça donne un petit coup de pouce à celui qui serait tenter de briser ce bel élan collectif. Imaginez, celui qui fait un cadeau pourri pour Noël, hop en taule ! Les geôles françaises seraient pleines ;-) Allez, joyeux Noël à tous et bon appétit !

Comments

[natha]

Ftour veut dire "petit déjeuner" en réalité. Il aurait pu vouloir dire "Noël", ça aurait été plus sympa !